Mon ami
Pierre (pseudo Trublion) m'ayant
incité à relire l'Homme qui rit à la suite de mon aticle sur les gens du voyage, c'est toujours avec plaisir que je me lance dans une oeuvre de Victor Hugo. L'ayant lu à trente ans, puis à
50, c'est (en travers) comme on dit, que je le relis aujourd'hui, sans que cela nuise à la trame dramatique de cette histoire. J'en suis à la page 382, et mon admiration pour les gens du voyage
n'a fait qu'augmenter.
Ursus et Homo étaient liés d'une amitié étroite. Ursus était un homme, Homo était un loup. Ce sont les premiers mots de cette oeuvre pathétique.
Durant une soixantaine de pages, on suit un enfant de dix ans abandonné des hommes, en plein hiver, errer dans la nuit et des bourrasques de neige...
... La bise se levait. Il frissonna. Il était seul. Il n'avait pas d'argent sur lui, pas de souliers aux pieds, à peine un vêtement sur le corps, pas même un morceau de pain dans sa
poche.
C'était l'hiver. C'était le soir. Il ignorait où il était. Il ne savait rien, sinon que ceux qui étaient venus avec lui au bord de cette mer s'en étaient allés sans lui.
Il se sentit hors de la vie.
Il sentait l'homme manquer sous lui.
Il avait dix ans.
Après des heures d'errance dans la nuit, la neige, la bise, il entend enfin, sous ses pieds nus, une sorte de cris.
L'enfant se baissa et commença le déblaiement. Ce n'était pas cette face qui avait crié. Elle avait les yeux fermés et la bouche ouverte, mais pleine de neige..... Cette femme était
morte..... L'enfant se remit à écarter la neige. Le cou de la morte se dégagea, puis le haut du torse, dont on voyait la chair sous des haillons. Soudainement, il sentit sous son tâtonnement un
mouvement faible. L'enfant ôta vivement la neige, et découvrit un misérable corps d'avorton, chétif, blème de froid, encore vivant, nu sur le sein nu de la morte. C'était une petite
fille.
Une centaine de lignes plus loin:
..; La bouche de l'enfant n'avait pas pu trouver le sein, où la goutte de lait, volée par la mort, s'était glacée, et, sous la neige, le nourrisson, plus accoutumait au berceau qu'à
la tombe, avait crié.
Le petit abandonné avait entendu la petite agonisante.
Il l'avait détérrée.
Il l'avait prise dans ses bras.
Quand la petite se sentit dans des bras, elle cessa de crier. Les deux visages des deux enfants se touchèrent, et les lèvres violettes du nourrisson se rapprochèrent de la joue du
garçon comme d'une mamelle....... Il avait sur lui un vêtement sec et chaud. Il posa le nourrisson sur la poitrine de la morte, ôta sa vareuse, en enveloppa la petite fille, ressaisit l'enfant,
et, presque nu maintenant, il se remit en route. La petite ayant réussi à retrouver la joue du garçon, y appuya sa bouche, et, réchauffée, s'endormit. Premier baiser de ces deux âmes
dans les ténèbres.
La mère demeura gisante, le dos sur la neige, la face vers la nuit. Mais au moment où le petit gatçon se dépouilla pour vêtir la petite fille, peut-être, du fond de l'infini où elle
était, la mère le vit-elle.